Les Rouges et les Blancs, Venner
J'ai commencé à lire ce livre. La couverture est tout simplement géniale. Pas moyen de trouver la source de cette photo par contre.
Un brin de présentation
de la Guerre Civile Russe d'abord. C'est un conflit d'une immense richesse chaotique,
d'une variété inouïe, et d'un tragique poignant. Une sorte de "paradis"
pour wargameur. On pourrait ne jouer qu'à ça pendant toute une vie (mais au risque de devenir encore plus fou que les gens qui ne font que du Napo).
On connait la Révolution
russe. On connait moins la guerre impitoyable de 3 ans qui a suivi. La
Russie est alors un empire immense, s'étendant d'un seul tenant de
l'Europe au Pacifique, et comportant de nombreuses minorités. Quand la
situation dégénère, ça explose littéralement dans tous les sens. Les
Rouges, on les connait. Comme tous les "empires du mal" de la fantasy,
ils sont seuls contre tous. Les Blancs, eux sont une nébuleuse de
forces, de pouvoirs, de nations ou d'ethnies, plus ou moins aidées ou gênées par une
grosse demi-douzaine de puissances extérieurs, et qui tirent chacun
dans un sens. Certains parlent de blancs, de verts, de noirs et
d'interventionistes. On pourrait en ajouter. Ca se complique par les interactions avec la
première guerre mondiale. Les Allemands sont en scène jusqu'en novembre
1918, et même après d'ailleurs. Les alliés ont comme objectif de les contrer. Ensuite... c'est
moins clair, c'est le moins qu'on puisse dire.
Les Finlandais qui en
profitent pour prendre leur indépendance, aidés par l'Allemagne, les
Lettons qui soutiendront Lénine, mais seront vaincus par les Corps Francs du Baltikum, les Tchécoslovaques, force armée d'un
état qui n'existe pas encore, qui prennent le contrôle de 4 000
kiliomètres de Transibérien, les anarchistes de Nestor Makhno, les
Allemands qui prennent le contrôle de l'Ukraine, les Japonais qui
sapent les efforts des Blancs pour contrôler l'Extrême-Orient russe,
les tirailleurs Sénégalais qui débarquent à Odessa avec les Grecs et les Français (qui rembarquent avant d'être totalement gagnés par la passion révolutionnaire), les officiers
tsaristes gardes blancs de la première heure qui forment des bataillons
composés à 50% d'officiers, les usines formant des régiments de
volontaires, aussi bien chez les Rouges que chez les Blancs, le Baron
Ungern qui mène une troupe de cosaques et de Bouriates conquérir la
Mongolie contre la Chine, les Basmatchis d'Asie Centrale, les partisans
qui mènent une guerre sans merci sur l'arrière, les piles immenses de
matériel entreposées à Vladivostok ou Mourmansk protégées par les
interventionistes, la nouvelle Pologne qui lutte pour sa survie, la fiction de
la République d'Extrême-Orient. Les Bolchéviques ont une position
centrale et se battent sur pas moins de cinq fronts. Toute la tragédie d'une guerre fratricide aggravée d'un imbroglio indébrogliable de peuples et de puissances extérieures.
Qu'est-ce qui est "cool"
dans ce conflit ? Les trains blindés sillonnant les voix ferrées,
l'immensité des fronts qui laisse la part belle à la cavalerie, les
cosaques, les marins de Cronstadt, le train de Trotski, la cruauté sans
borne manifestée dans les deux camps, les régiments qui changent de
camp dans la nuit, et ceux qui ont été capturés et qui rempilent de force dans l'autre camp, les soldats qui montent à l'assaut avec 5
cartouches, les quelques blindés qui quand ils ne tombent pas en panne
ont un effet moral démesuré, la propagande qui a parfois plus d'effet
que les balles, les anciens officiers tsaristes qui servent dans
l'armée rouge surveillés par un commissaire politique (et leur famile
maintenue en otage à l'arrière), la Tchéka en cuir noir brandissant des
lugers, les uniformes aux bonnet pointu, les internationalistes
combattant là on ne sait pas toujours bien pourquoi, etc. etc.
Revenons en au bouquin. Ayant lu un peu l'auteur, je me méfiais un peu... beaucoup même. D'emblée, dans la préface, les principes du livre sont posés. Il y parle "d'un million de croquants hérissés de baïonnettes, conduits par une petite bande de fanatiques à bésicles", alors que les armées blanches n'ont pas droit à des formules aussi... hum... évocatrices. Par contre il les compare à des "Vendées", ce qui semble tiré par les cheveux et la barbe d'un pope, à peu près personne chez les Blancs n'ayant envie d'une restauration. Le truc que je trouve le plus pénible dans certains bouquins d'histoire, c'est l'impression que l'auteur a un compte à régler. Ici monsieur a un compte à régler avec le communisme. C'est flagrant dans les trois premiers chapitres qui sont consacrés à la révolution proprement dite.
Dans la suite, il y a une constante différence de traitement : quand il s'agit de décrire les exactions commises par les Rouges, le style est toujours plus imagé . Ce n'est pas brutal, mais c'est constant. Par exemple, page 185 il écrit "Ils fusillent 300 gardes rouges et les membres du soviet". Et juste après "Tous les officiers (blancs) trouvés en ville sont fusillés sur place. Mouraviev se vantera d'en avoir fait exécuter 2 000" (quel ignoble personnage, n'est-ce pas ?). Subtil mais réel. Et je vous épargne les dix pages de révélations sur le massacre révoltant de la famille impériale et la manière dont elle a lâchement été laissée tomber par le roi d'Angleterre. Plus loin, il regrette que le fascisme n'ait pas été inventé dix ans plus tôt pour venir à bout des Rouges. Quand on a lu "le Siècle de 14" du même auteur, on comprend mieux tout ça. Ca reste supportable cependant, et si on réussit à en faire abstraction, on a une excellente présentation du conflit, qu'il a réussi à rendre aussi claire que possible sans occulter sa complexité.
Banc d'esssai du psilète : les deux ou trois trucs que je connais sur le conflit. Je suis d'abord allé voir Ungern, qui a droit à quelques pages. Bonne surprise : la mythologie délirante édifiée par la propagande de l'époque et qui s'est perpétuée dans toute la littérature anglophone sur le sujet n'est pas reprise. Bref le test passe positivement là où par exemple le bouquin de Foundry avait lamentablement échoué. Attention, ce n'est pas un Erik Sablé et Ungern n'est pas maquillé en chevalier blanc. Ca reste nuancé et crédible, mais sans les absurdités hopkirkiennes.
Autre test, le front dit "sibérien". Là où des articles, voire des livres, de soi-disants spécialistes de la Guerre Civile Russe l'expédient avec une phrase à la fois laconique et inexacte "à l'est, venu de Sibérie, l'armée de Koltchak, etc...", ici la Sibérie reçoit l'importance qui lui est due : de tout premier plan, et jusqu'au fin fond de l'Extrême-Orient russe.
Bref, je me vois contraint d'estampiller ce livre "recommandé par le psilète", mais avec les réserves évoquées plus haut. C'est probablement le meilleur livre disponible en français (et sans doute plus) pour découvrir ce conflit.